Urgence climatique, sobriété énergétique, accélération de la production d’énergies renouvelables, dynamique des territoires… : autant de slogans qui deviennent des mots creux lorsqu’ils sont confrontés aux rigidités de la commande publique. Le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables pourrait utilement débloquer la situation.
« On ne demande pas un cadre dérogatoire mais un socle juridique » : les participants d’un colloque organisé par le laboratoire TREE (Transitions énergétiques et environnementales) de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA) et le CNRS, en liaison avec le cabinet Brun-Cessac avocats associés et le Sipperec n’ont eu de cesse de souligner la complexité du droit qui s’oppose aux collectivités locales lorsqu’elles entendent produire et consommer des énergies renouvelables.
« Aujourd’hui, les règles de la commande publique empêchent les collectivités de contractualiser directement avec les structures de production d’ENR, que ce soit dans le cadre de contrats directs d’achat d’énergie et autres PPA, d’autoconsommation individuelle avec tiers investisseur ou même de projets d’autoconsommation collective », observent les organisateurs.
Un droit aux codes multiples
La difficulté commence avec des imbrications multiples, comme l’a rappelé Philippe Terneyre (Université de Pau et des pays de l’Adour) : outre la nécessaire compatibilité avec le droit européen, « plusieurs types de droit se télescopent, qui sont tous codifiés :
- · Code de la commande publique ;
- · Droit de la propriété publique (CG3P) ;
- · Droit des collectivités territoriales (CGCT) ;
- · Code de l’énergie. »
L’achat d’énergie renouvelable se heurte rapidement à des contraintes réglementaires. Il est bien sûr possible de préciser certaines exigences et spécificités en respectant la transparence de la procédure et le principe d’égalité de traitement, observe Romain Micalef (Université Lyon III). Il voit dans Code de la commande publique à la fois « un levier et un carcan ». Ainsi, il faut faire « attention au localisme » : il n’est pas possible d’exiger que l’électricité achetée soit produite chez soi. Sujet à débat : ce qui est possible pour des cantines scolaires l’est-il pour des équipements solaires ?
Premier paradoxe : le principe de libre-concurrence et l’ouverture à la concurrence souhaitée par l’Europe (conforté par la logique « timbre-poste » du TURPE) contrevient aux objectifs d’économie circulaire.
Pour obtenir /consommer de l’électricité d’origine renouvelable, les acheteurs publics recourent aujourd’hui essentiellement à la technique d’allotissement spécifique. Celui-ci est basé soit sur les garanties d’origine soit sur un concept plus complexe d’électricité verte à haute valeur environnementale (HVE). La composante carbone n’est pas suffisante mais peut y figurer.
« On ne demande pas un cadre dérogatoire mais un socle juridique »
Aujourd’hui, les collectivités ne peuvent pas conclure de PPA
Recourir aux PPA (power purchase agreement, marchés de gré à gré) est encore plus complexe. Leur compatibilité avec le code de la commande publique pose doublement question puisqu’il s’agit d’un « dispositif désintermédié » et que la durée d’un PPA excède souvent celle des marchés publics (15 ou 20 ans à comparer à des accords-cadres de 3 ou 4 ans…).
Autre sujet de réflexion : les collectivités qui sont désormais productrices d’électricité renouvelable, souvent dans le cadre de SEM ou par le biais de SAS ENR, ne peuvent pas acquérir directement la production produite par l’intermédiaire de ces équipements pour lesquels elles ont investi directement ou indirectement. A la FNCCR, Cécile Fontaine déplore cette « incohérence : les SEM ne peuvent pas vendre leur production aux syndicats d’énergie qui les ont créées ! » Syndicats qui, par ailleurs, cordonnent des groupements de commandes réunissant des centaines voire des milliers de sites dispersés dans parfois plusieurs départements.
(Précision : l’on n’est pas ici dans le modèle de l’autoconsommation.)
Deuxième paradoxe : les collectivités investissent parfois massivement pour produire de l’électricité renouvelable mais ne peuvent y recourir pour bénéficier de prix stables et attractifs. Elles doivent au contraire acheter au marché, à des prix prohibitifs.
Troisième paradoxe : les SEM doivent intégrer une part minimale de capitaux privés (15 à 49% du capital social). Ce qui entrave mécaniquement la logique du « in house ». Certes, les collectivités peuvent aussitôt constituer des SPL pour contourner ces difficultés mais cela en crée d’autres puisque leur champ d’action est par nature limité au territoire des collectivités associées et génère d’autres problématique liées à la production d’énergie…
Aucun bouclier tarifaire pour les acheteurs publics
Il y a donc urgence à définir un cadre juridique sécurisé pour les acheteurs publics qui prennent de plein fouet la hausse des prix et ne bénéficient d’aucun « bouclier tarifaire » à la différence des consommateurs particuliers et des entreprises électro-intensives. « On ne demande pas une dérogation aux grands principes, confirme Cécile Fontaine, mais à faire évoluer le droit. »
Elle observe que la principale contrainte est celle de la durée des marchés. En effet, le principe d’un PPA est d’offrir une garantie de long terme au producteur. Par leur stabilité financière, les collectivités sont des organismes adéquats pour offrir cette garantie, bien davantage que des entreprises soumises aux aléas de leurs marchés. A cet effet, la FNCCR soutient un amendement à l’article 18 du projet de loi, consacré au « partage territorial de la valeur des énergies renouvelables ». Rien d’exceptionnel ici : il s’agirait simplement de « clarifier l’articulation des règles de la commande publique avec celles du code de l’énergie qui instituent de nouvelles formes de commercialisation des énergies renouvelables » en corrélant « la durée du contrat avec la nature spécifique des prestations qui en sont l’objet. Celles-ci nécessitent en effet, dans un certain nombre de cas, la réalisation de nouveaux actifs de production justifiant le recours à un contrat long terme. »
Quatrième paradoxe : le code de la commande publique est à ce point rigide qu’il doit être amélioré « de l’extérieur », c’est-à-dire par un autre code, en l’occurrence ici celui de l’énergie.
Améliorer le droit pour fluidifier l’achat public d’EnR
« Il y a déjà eu un précédent lorsque les collectivités ont obtenu la possibilité d’acheter l’énergie à prix ferme. » Modifier la durée des marchés pour permettre aux collectivités de conclure des PPA « resterait dans les clous de la directive marchés publics. » A ce jour, les quelques PPA souscrits en France l’ont été par des entreprises privées ou par des entreprises publiques, via leurs filiales… privées. Du côté des collectivités, rien n’est possible à ce jour.
Cinquième paradoxe : les marchés de fourniture d’électricité étant incompatibles avec une durée de 15 ou 20 ans, des juristes s’interrogent : faudrait-il qualifier les PPA dans des contrats de concession ? Avec obligations de service public, partage du risque, biens de retour et autres joyeusetés ? Pourquoi faire simple quand on peut compliquer…
Dans un contexte de hausse des prix rédhibitoire, tous les acheteurs ont besoin de stabilité et de visibilité. Les PPA et un circuit court de type SEM / groupement de commandes sont à l’évidence des solutions d’avenir. Elles sont malheureusement bloquées par des règles de commande publique inadaptées au marchés de l’énergie. Si le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables veut mériter son nom, il devra donc faire sauter quelques verrous.
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