Prix de l’énergie : marchés de gros et bouclier arverne

4 Oct, 2021

Depuis quelques semaines, les importantes augmentations de prix des marchés de gros de l’électricité et du gaz font couler beaucoup d’encre et agrémentent les discours politiques. Jusqu’à évoquer un « bouclier tarifaire ».

Prix et tarifs du gaz

Les cours du gaz augmentent déjà depuis quelque temps. A la fois en raison de la reprise mondiale post-Covid, notamment la demande asiatique qui attire les flux de gaz au détriment de l’Europe. Comment et pourquoi cela impacte-t-il les consommateurs français ?

Qu’est-ce qui augmente de 12,5% ?

« Au 1er octobre 2021, la CRE constate que les TRVG d’Engie augmentent de 13,9% HT, soit 12,6% TTC, par rapport au barème en vigueur applicable depuis le 1er septembre 2021. Cette hausse est de 4,5% HT pour les utilisateurs de gaz pour la cuisson, de 9,1% HT pour ceux qui ont un double usage (cuisson et eau chaude), et de 14,3% HT pour les foyers qui se chauffent au gaz. » L’augmentation annoncée qui a suscité tant de polémiques et l’agitation d’un « bouclier » par le Premier Ministre est donc celle du tarif réglementé du gaz pour les particuliers. Ces TRV concernent environ 3 millions de consommateurs résidentiels, dont 2,77 millions chez Engie…. Soit environ un tiers des consommateurs individuels, qui ne représentent plus que 7,5 % de la consommation nationale de gaz. En effet, les tarifs réglementés étant progressivement supprimés (ils expireront en décembre 2023), une écrasante majorité de la consommation est désormais couverte par des offres de marché (1).

Le mode de calcul des TRV est une formule définie par les pouvoirs publics et basée sur les contrats d’approvisionnement des fournisseurs (essentiellement Engie). Du fait de la baisse régulière des cours internationaux ces dernières années, et de l’arrivée à échéance des contrats historiques, Engie a progressivement modifié ses approvisionnements pour réduire la part des contrats de long terme- en augmentant l’indexation aux cours du marché. Une demande formulée par des associations de consommateurs et relayée par le pouvoir politique…

Source: Opéra énergie

Ce changement de calcul a permis de fortes baisses ; il engendre aujourd’hui une hausse.

Quid du bouclier de la rénovation énergétique ?

Il est important de rappeler que la facture finale dépend bien entendu du prix du gaz, mais également des tarifs de réseau (ATRD et ATRT fixés par la CRE), du stockage et des taxes. Or, ces diverses composantes de la facture (à la différence de la TVA) sont indexées sur le volume de consommation et non le prix de la molécule…

Enfin et surtout, la facture dépend de la consommation (38% du total en moyenne) qui peut varier du simple au quadruple selon la performance énergétique de son logement…

On peut se demander si le « bouclier » ne devrait pas plutôt être fait de matériaux isolants plutôt que par un gel illusoire des tarifs de vente du gaz aux particuliers… Illusoire ? Oui, parce que les TRV devant couvrir les coûts d’Engie (et autres fournisseurs les proposant), ce qui ne sera pas payé maintenant, le sera nécessairement plus tard. Il y a déjà eu des précédents : le « bouclier Royal » s’est traduit par d’importantes factures rétroactives d’électricité. Cela n’a visiblement pas servi de leçon…

Prix et tarifs de l’électricité

Dans l’électricité, le lien entre le « prix de marché » et la facture des usagers est encore plus distendu et complexe que pour le gaz.

En effet, l’électricité effectivement consommée représente moins du tiers du prix total. Elle est incluse dans la part « fourniture », qui intègre l’énergie mais aussi la capacité, les coûts commerciaux… Et cette part est elle-même composée de plusieurs éléments de prix dépendant de la stratégie des fournisseurs. Car ceux-ci achètent en avance aux marchés dits « à terme » pour couvrir leurs besoins et ne recourent que relativement marginalement au marché « spot » (journalier ou infra-journalier) afin d’assurer l’équilibre entre ce qu’ils injectent dans le réseau et ce que leurs clients en soutirent au plus près du temps réel.

Source: Opéra énergie

Même si les prix « à terme » ont augmenté dans des proportions inédites (118 €/MWh pour le « baseload 2022 » fin septembre, 152 début octobre…), les prix dont parle la presse ces derniers jours sont essentiellement ceux du marché spot dont les variations impactent faiblement les prix de détail.

Le gouvernement souhaite réformer le marché européen. C’est sans doute utile mais à condition d’analyser à la fois l’impact de ces hausses conjoncturelles et celui des baisses des 15 dernières années. En effet, il y a peu, les prix étaient jugés trop faibles pour couvrir les coûts des producteurs, freinant donc les investissements et mettant en péril la sécurité d’approvisionnement…  Ce qui a engendré de nombreuses mesures « correctives » dans les différents pays, dont le mécanisme de capacité en France. Trop bas ou trop haut, le prix est toujours présenté comme le problème principal.

Impact sur les prix pour les ménages

Compte tenu de la structure tarifaire française, la hausse des prix du marché ne joue que sur une petite partie du prix de vente de l’électricité (a fortiori pour le marché spot, qui n’influe que très marginalement).

Les débats portent aujourd’hui sur une possible hausse des tarifs réglementés de vente d’EDF (et des ELD), qui concernent 66% des consommateurs individuels. Hausse évaluée à 12% et que le Premier Ministre souhaite « geler » temporairement à 4%.

Nul besoin de créer un « bouclier nucléaire » qui existe déjà

Ces TRV sont calculés en additionnant une part d’ARENH et un complément tenant compte des prix de marché, avec un lissage des 2 dernières années, conformément à la logique d’approvisionnement par couches successives décrite plus haut. Le prix de l’ARENH entre donc dans le calcul des TRV de manière plus ou moins importante selon les années et le profil des usagers mais rarement en dessous de 30 à 40% de la part énergie. De fait, même si les prix de marché « ne tiennent pas compte du parc nucléaire », le TRV et les offres des fournisseurs achetant de l’ARENH intègrent déjà largement un « bouclier nucléaire », dont bénéficient les consommateurs français.

S’il est encore trop tôt pour connaître l’impact précis des prix actuels sur la prochaine révision du montant du TRV (la CRE les fixe généralement en janvier de chaque année), on peut s’intéresser aux évolutions des dernières années et à leurs causes telles que décrites par la CRE dans ses délibérations successives.

La facture grimpe avec le TURPE, les CEE et la capacité

Les facteurs les plus fréquents sont la hausse des tarifs d’acheminement (TURPE) ou des coûts de commercialisation du fait des CEE… sans négliger les rattrapages tarifaires dus soit au blocage des TRV dans le passé, soit à la non couverture des coûts d’EDF. Tous ces éléments sont strictement liés au système français : l’Europe a bon dos.

De manière encore plus inattendue, la délibération de la CRE de janvier 2021  pointe l’impact d’un dispositif résolument tricolore, le mécanisme de capacité :

6€ le MWh ? C’est assez vertigineux pour un mécanisme dont l’utilité reste largement débattue, sauf du point de vue d’EDF qui capte la quasi-totalité de cette « valeur » (à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros par an). Il est utile de se souvenir que ce mécanisme avait été mis au point notamment pour compenser le fait que les prix de marché étaient trop bas…

Les cris d’orfraie des oppositions et les larmes de crocodile des ministres français ne doivent pas faire oublier qu’il y a des gagnants aujourd’hui. A commencer par EDF qui s’est beaucoup plaint de la faiblesse des prix et a demandé des réformes lui assurant des « prix garantis » … EDF est sans nul doute le principal bénéficiaire de ces « défaillances » du marché européen puisqu’il en est l’un des principaux acteurs – et exportateurs !

A charge pour l’État d’arbitrer entre les intérêts d’EDF dont il est actionnaire très majoritaire et ceux des consommateurs.

Le véritable bouclier: diminuer sa consommation

Les acheteurs professionnels, eux, devront continuer de lisser au mieux les risques du marché. D’une part en fractionnant les achats, pour répartir le risque. De l’autre en négociant des contrats à long terme, à des prix garantis (avec des prix de marché élevés, les PPA gagnent en attractivité). Sans oublier d’acheter groupés, pour professionnaliser l’achat et bénéficier, au moins pour la procédure, d’effets d’échelle. 

Enfin, tous les consommateurs, particuliers comme professionnels, ont intérêt à investir dans les véritables « boucliers » que sont l’efficacité et la rénovation énergétiques. De « ma prime Rénov’ » aux CEE, les dispositifs d’aides sont nombreux. Le kWh non consommé n’a pas de prix !

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1) La moitié des consommateurs résidentiels a souscrit des contrats en offre de marché à prix fixe durant plusieurs années. Ils ne sont donc pas concernés -à court terme- par cette hausse.

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D’autres billets de blog? C’est par ici. Crédit photo : Yann Caradec / Flickr – L’arrivée du bouclier de Brennus 2013 (Finale du Top 14 – Castres vs Toulon : 19-14)