Coût du nucléaire : les acheteurs ont aussi besoin d’un cadre sécurisé

20 Sep, 2023

L’après ARENH entre dans une phase décisive (1). Le gouvernement a rendu public une synthèse d’un rapport de la Commission de régulation de l’énergie consacré aux coûts du nucléaire. Depuis les travaux de la commission Champsaur (39 €/MWh), ceux-ci sont en nette hausse. Mais le véritable enjeu est ailleurs : les acheteurs publics et privés ont besoin d’un cadre régulatoire stable car 2026, lorsqu’on achète deux ans à l’avance, c’est presque aujourd’hui.

A vos pronos…

38, 40, 42, 49,5… 57, 61… Le coût complet de production nucléaire ressemble à une grille du loto et on sent intuitivement que la décision finale, « pourquoi 42 ?, parce que pas 43 », tiendra en grande partie du hasard de choix politiques.

De la Cour des comptes à la CRE, en passant par EDF et Engie (2), Tout le monde ou presque a son avis. Et cet avis, avec le temps, évolue nécessairement. Il y a eu l’accident de Fukushima, qui a réévalué à la hausse les coûts de production. De même, le nouveau nucléaire a des coûts plus élevés que l’historique.

Surtout, le flou qui entoure nombre de ces estimations n’aide en rien à la compréhension du sujet et au débat public. Il faut donc saluer la publication par le ministère de la Transition écologique de cette synthèse du rapport de la CRE. Les trois estimations…

« Le coût complet du nucléaire existant calculé par la CRE, sur la base de la trajectoire de productible et du niveau de CMPC retenus par la CRE, s’élève à respectivement 60,7 €22/MWh sur la période 2026-2030, 59,1 €22/MWh sur 2031-2035, et 57,3 €22/MWh sur 2036-2040. »

Rapport de la CRE, juillet 2023

… constituent un socle de discussions bienvenu.

Mais elles ne suffiront pas.

Il n’y a pas qu’EDF et ses concurrents : les acheteurs aussi sont concernés

Depuis quelques années, le dispositif de l’ARENH est devenu bancal, voire contre-productif. Le bloc de 100 TWh ne correspond plus aux besoins du marché et entraîne chaque année un écrêtement croissant qui fait fortement gonfler la facture. Face à la crise énergétique et à l’augmentation des parts de marché tenues par les alternatifs, un second bloc, de 20 TWh, a été créé pour une durée limitée. Insuffisant pour absorber la demande, et avec un prix de vente de 46,20 €/MWh, ce qui ne faisait que compliquer les calculs. Une rustine.

Pour les acheteurs, qu’on oublie souvent, le sujet est crucial. Ils doivent aujourd’hui composer avec un marché hétéroclite dans lequel ils additionnent une part d’ARENH, une part achetée au marché, une autre part achetée au marché post ARENH (écrêtement). L’écrêtement en fin d’année pose un autre problème : outre, les achats en urgence, le calcul des TRV prend en compte les cotations souvent très élevées du mois de décembre. Cela a pu représenter une part très importante de la hausse.

Et on ne parle mêle pas des taxes et du réseau, autre composantes de la facture, sans oublier des autres bricoles comme les CEE ou la capacité, voire les « boucliers tarifaires ».

Surtout, ils achètent leur fourniture en avance, entre un et deux ans, plus rarement trois. Aussi seront-ils bientôt confrontés à un marché post-ARENH, puisque le dispositif expire fin 2025. Ils vont donc acheter de l’électricité pour 2026, presque à l’aveugle, sans connaître les règles du jeu en vigueur à ce moment-là.

Les Echos évoque un post-Arenh à 70 €/MWh. « Pour répliquer « l’effet Arenh » sur l’économie, la mesure pourrait toucher des volumes similaires à ceux concernés par la régulation « Arenh » (100 TWh par an) mais aussi les volumes liés aux ajustements tarifaires réalisés par EDF pour concurrencer l’Arenh. Au total, on parle de près de 280 TWh chaque année. »

Les acheteurs ont besoin de visibilité

Il y a donc urgence à définir un cadre clair, à défaut d’être sécurisant. Et cesser de débattre des bienfaits et des méfaits de l’ARENH.

Entre le marché et la régulation à la française, c’est probablement la seconde approche qui prévaudra. Le risque est qu’elle intervienne tard, trop tard et se fasse au détriment des acheteurs. Cela s’est souvent (toujours) passé ainsi, imposant aux acheteurs d’acheter dans l’urgence, c’est-à-dire cher. Rien d’abstrait ici : une facture d’énergie élevée ampute un budget communal comme elle peut mettre en péril une petite entreprise.

Après trois années de forte hausse et volatilité des prix, il serait temps de retrouver de la sérénité.

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  • 1) Du moins, on l’espère, pour l’avoir déjà pensé et écrit souvent.
  • 2) Oui, Engie, parce qu’au moment des discussions de la loi NOME, Engie, fort de son expérience d’exploitant en Belgique, avait donné le chiffre de 34 €/MWh, puis 38, lorsque EDF en proposait au moins 42 (un prix plancher)…

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Crédit photo : Rubik’s cubes, Vincent Tcheng Chang, – Flickr