L’ARENH est un dispositif largement critiqué, notamment par EDF, qui y voit une manière de « spoliation ». Le principe initial de la loi du 7 décembre 2010 (restituer la rente nucléaire aux Français) a disparu au profit d’une approche caricaturale : EDF vendrait à perte pour subventionner ses concurrents. Cette approche a le mérite de la simplicité (pour un mécanisme qui ne l’est pas) ; elle est donc fréquemment reprise dans le débat public, avec évidemment plus de virulence depuis quelques semaines.
Aux origines de l’ARENH : une concurrence déséquilibrée… et une enquête approfondie de la DG Concurrence
Intégralement ouvert depuis 2007 à la concurrence, le marché de détail français de l’électricité reste aujourd’hui encore largement dominé par EDF avec une part de marché de 70% des sites chez les particuliers et plus de 50% chez les professionnels. La disparition progressive des tarifs réglementés de vente aux consommateurs professionnels a permis une nette accélération depuis quelques années.
Les concurrents d’EDF ont historiquement eu beaucoup de mal à conquérir des clients, notamment pour les petits consommateurs et se sont heurtés à des difficultés d’approvisionnement sur le marché de gros. Par ailleurs, l’accès aux capacités de production est très limité :
- La construction de centrales nucléaires est réservée à EDF (et cela a encore été redit par le président de la République le 10 février 2022) ;
- les projets de centrales au gaz sont rares (et désormais incompatibles avec la lutte contre le réchauffement climatique) ;
- et l’Etat français bloque le renouvellement des concessions hydroélectriques (détenues par EDF, la CNR et Engie).
Il reste bien entendu la possibilité d’investir dans les énergies renouvelables. Néanmoins, là encore, la conjugaison d’une certaine complexité administrative et parfois de contestation sociale retarde les projets ; d’où un rythme de déploiement notoirement insuffisant. En outre, jusqu’en 2016, EDF avait le monopole des tarifs d’achat. Il était donc impossible d’acheter directement la production à un tarif suffisant tout en restant compétitif par rapport au tarif réglementé. Il fallait là encore passer par EDF pour bénéficier des soutiens publics.
En pratique, le marché amont – la production électrique – est très largement issu du parc d’EDF, et le marché aval – la fourniture – -est également dominé par les tarifs réglementés dont EDF a le monopole.
En juin 2007, la Commission européenne a lancé une enquête approfondie concernant les tarifs réglementés dits « jaunes » et « verts » destinés aux grands consommateurs car elle suspectait une aide d’état aux entreprises françaises. En effet, à l’époque, ces tarifs ne couvraient pas les coûts d’EDF.
C’est dans ce cadre que la France a proposé un certain nombre de mesures : réévaluation des tarifs réglementés « jaunes » et « verts », puis suppression à partir de 2015, mise en place d’un « accès régulé à l’électricité nucléaire historique », à hauteur de 100 TWh maximum par an, qui permet aux fournisseurs de disposer d’environ 25% de la production nucléaire à un prix fixe pour alimenter leurs clients du marché de détail. Il s’agit de restituer la « rente » nucléaire aux consommateurs français, qui ont financé la construction du parc, lequel est largement amorti. La Commission « accueille favorablement » ces propositions le 15 septembre 2009.
La loi NOME
C’est dans ce contexte qu’est adoptée la loi dite Nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME, 7 décembre 2010).
Article 1, de la Loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (extrait)
« Afin d’assurer la liberté de choix du fournisseur d’électricité tout en faisant bénéficier l’attractivité du territoire et l’ensemble des consommateurs de la compétitivité du parc électro-nucléaire français, il est mis en place à titre transitoire un accès régulé et limité à l’électricité nucléaire historique, produite par les centrales nucléaires (…), ouvert à tous les opérateurs fournissant des consommateurs finals résidant sur le territoire métropolitain continental ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes, à des conditions économiques équivalentes à celles résultant pour Electricité de France de l’utilisation de ses centrales nucléaires. »
En juin 2012, La Commission Européenne a validé les aides d’État constituées par les tarifs « jaunes » et « verts » (et a donc mis fin à la procédure) sous condition :
« La France met en place un dispositif d’accès régulé à l’énergie nucléaire historique produite par les installations existantes, consistant à obliger l’entreprise Electricité de France, pendant une période allant jusqu’au 31 décembre 2025, à vendre à ses concurrents sur le marché de détail de l’électricité, une partie de sa production d’électricité d’origine nucléaire dans la limite d’un plafond de 100 TWh, à un prix réglementé. Le prix de l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique est réexaminé chaque année et reflète les conditions économiques de production d’électricité sur la durée du dispositif. Le niveau de prix de l’ accès régulé à l’énergie nucléaire historique ne peut excéder 42 euros par MWh et n’évolue pas tant qu’une mesure fixant la méthode de calcul pour l’établir n’est pas entrée en vigueur. Cette mesure sera soumise à la Commission à l’état de projet en vue de son approbation préalable.
La France met fin à toute aide d’Etat résultant de l’application de tarifs réglementés transitoires d’ajustement du marché pour les grands et moyens consommateurs qui pourrait subsister et s’abstient de mettre en place tout dispositif équivalent.
Les décisions prises par la France après l’été 2012 concernant les tarifs réglementés de vente de l’électricité permettent de réduire progressivement, par rapport à 2012 et ensuite chaque année par rapport à l’année précédente, l’écart entre l’addition des coûts et le tarif réglementé.
La France met fin à toute aide d’Etat résultant de l’application des tarifs réglementés de vente de l’électricité au plus tard le 31 décembre 2015 pour les grands et moyens consommateurs et s’abstient de mettre en place tout dispositif équivalent. »
On voit ici que le volume et le prix de l’Arenh sont partie intégrante de la décision. De fait, toute modification de ces éléments devra être négociée avec la Commission européenne.
Hélas, les gouvernements français successifs n’ont jamais finalisé les discussions… un éphémère projet de décret « méthodologie » a bien circulé mais vite disparu…
Retrouvez ici les épisodes 1 (comprendre les marchés de gros) et 2 (impact des prix de gros pour les consommateurs). L’épisode 4 (l’ARENH est mal chaussée) est ici.
Lire aussi: marchés de gros et bouclier arverne
D’autres billets de blog par ici.