EDF bleu, vert, Azur?

9 Oct, 2020

Le magazine Reporterre a mis en ligne une note de l’Agence des participations de l’Etat (APE) relative au « projet Hercule ». Daté du 6 mai 2020, ce document de travail (visiblement en cours d’élaboration) donne un intéressant aperçu des discussions en cours depuis plusieurs années avec la Commission européenne quant à la restructuration du groupe EDF.

Pour rappel, le « projet Hercule » entendait scinder EDF en deux entités distinctes. S’y ajoute désormais une société Azur :

  • « EDF bleu » comprendrait les activités de production nucléaire, hydraulique et le transport (RTE) ;
  • Baptisée Bleue, la société détenue à 100 % par l’État « serait actionnaire à 100 % d’une société Azur, qui récupérerait les barrages hydroélectriques » ;
  • Enfin, « EDF vert », intégrerait des activités régulées (Enedis) et d’autres en concurrence (EDF commerce, EDF énergies nouvelles, Dalkia…).

Le projet Hercule et la réforme de l’ARENH sont menés de front

Ce projet se construit en parallèle à celui de réforme de l’ARENH, connu à ce jour sous le nom de « nouvelle régulation économique du nucléaire existant ». Cette NRENE a fait l’objet d’une consultation au printemps 2020. Conçu comme un service d’intérêt économique général (SIEG), ce dispositif permettrait à EDF de vendre dans « les marchés de gros (marchés organisés ou enchères) un productible prédéfini normativement (comme un ruban annuel de profil stable) selon un échéancier également prédéfini (qui) couvrirait la totalité des centrales du parc nucléaire français existant, y compris Flamanville 3. » Le prix serait soumis à un plancher et un plafond avec des rétrocessions financières ex ante. Exemple : si les prix de marché constatés dépassent le plafond, EDF devrait « rétrocéder les revenus perçus au-delà » de ce plafond. Inversement, si les prix sont plus bas que prévu, « un mécanisme couvrirait le producteur », à charge pour ses concurrents de rembourser la différence.

On reconnaît bien là un de nos travers nationaux : remplacer un dispositif « temporaire » ayant atteint ses principaux objectifs de facilitation de l’accès au sourcing et donc au marché par les concurrents d’EDF qui le souhaitent, par un mécanisme très complexe instituant une forme de « communauté de destin » de l’ensemble des fournisseurs (et donc consommateurs) avec les performances du parc nucléaire français, même pour ceux qui ne l’utilisent pas…

A ce jour, on retiendra essentiellement le coût de production du parc nucléaire existant, établi par la CRE dans un rapport… non publié, à 48 €/Mwh (information rapportée par le magazine Contexte).

Démantèlement d’EDF?

Mais revenons au document publié par Reporterre. Hercule est perçu par les syndicats d’EDF comme un premier pas vers le démantèlement et la privatisation du groupe. De fait, selon la note de l’APE, la DG Comp entend « privilégier une holding sans rôle opérationnel ni contrôle sur ses filiales et une indépendance entre celles-ci […] Cette position entraînerait l’impossibilité de maintenir un groupe intégré et irait au-delà des exigences posées par les textes européens. » Cette approche se justifierait « par l’ampleur de l’aide qui serait octroyée à EDF du fait du SIEG afin d’éviter que le soutien au nucléaire régulé ne profite d’une quelconque manière aux autres entités du groupe ».

De son côté, Reporterre estime qu’il s’agit de « faire porter le secteur le plus déficitaire — le nucléaire — à l’Etat, donc au contribuable, tandis que les activités plus rentables — renouvelables et distribution — seraient privatisées. »

Le projet Hercule pose de nombreuses questions

Par-delà ces jugements, les deux projets dévoilés posent quelques questions comme, par exemple :

  • Pourquoi intégrer les concessions hydrauliques dans « EDF bleu », sinon pour les sanctuariser alors qu’elles devraient être mises en concurrence depuis plusieurs années ? La note de l’APE prévoit la création d’une « quasi-régie indirecte » dont les modalités de gouvernance doivent être proposées par… EDF. C’est ce qu’on appelle une concession d’Etat dans l’Etat.
  • Un tel dispositif devrait-il s’appliquer par réciprocité aux barrages exploités par la SHEM et la CNR (groupe Engie) ?
  • Un temps évoquée, la piste de concessions exploitées par des SEM, auxquelles pourraient participer des collectivités de proximité ou spécialisées (syndicats d’énergie) serait sans doute plus prometteuse.

  • Pourquoi séparer les activités d’acheminement, toutes deux régulées et monopolistiques ? Si « EDF vert » est une entité dont le capital doit être ouvert, faut-il y intégrer Enedis ? Déjà contraint par sa maison mère (qui l’empêche d’emprunter), le GRD serait-il dans une meilleure position pour conduire des investissements dans les réseaux, essentiels pour la transition énergétique ? Rappelons que RTE appartient aujourd’hui pour près de la moitié à la CDC et CNP Assurances. Et qu’en est-il des collectivités locales, propriétaires des réseaux de distribution? Sont-elles au moins consultées?
  • EDF a fermé ses agences (ou boutiques) ces dernières années. Il reste qu’on peut s’interroger quant au rapprochement -même symbolique- opéré dans « EDF vert » entre les activités de commerce et de distribution.

 Selon Les Echos, qui cite une « source » non identifiée, le calendrier serait celui d’une réforme discutée « au Parlement en 2021 et une mise en œuvre en 2022 ».

Crédit photo : Hercule terrassant la mise en concurrence des barrages (Herculean effort cc Rob Oo – Flickr)