La nécessaire -et difficile- coordination des acteurs de la rénovation énergétique performante

22 Jan, 2021

Dans une note pour Leroy Merlin (Le grand jeu social de la rénovation énergétique, tour d’horizon des acteurs), Gaëtan Brisepierre, sociologue indépendant, pointe quelques écueils qui entravent la massification de la rénovation énergétique.

La note complète est consultable ici.

Au premier chef, Gaëtan Brisepierre fait état d’une simplification exagérée du jeu d’acteurs. Ainsi, les groupes d’acteurs concernés par la rénovation énergétique se retrouvent dans une notion de « filière » ou d’« écosystème », « ce qui sous-entend une coordination, voire une intégration, des acteurs autour de cet objectif, ce qui n’est pas le cas. » Il préfère « la notion de « système d’acteurs » (qui) invite à recenser de façon ouverte l’ensemble des acteurs (…), en se situant à l’échelle des groupes professionnels. »

Le schéma des acteurs au sens large est donc plus complexe que celui qui est ordinairement présenté.

Source : Gaëtan Brisepierre / Leroy Merlin

Ayant ainsi détaillé la diversité des intervenants, il s’attache-t-il à définir, pour chaque corps de métier (Etat compris), les freins potentiels à une approche dynamique et globale. C’est d’autant plus intéressant que figurent ici des acteurs auxquels on ne pense pas forcément lorsqu’il s’agit de rénovation énergétique.

Architectes

Gaëtan Brisepierre fait état de la précarisation croissante de la profession et de sa difficulté à entrer dans le segment du logement privé (malgré une percée dans les copropriétés).

Leur formation initiale les prédestine aux bâtiments neufs plus qu’à la rénovation – il existe néanmoins quelques doubles cursus architecte + ingénieur. Lorsque certains s’y intéressent, c’est davantage de qualité environnementale qu’il est question. En outre, « le modèle économique de beaucoup d’agences s’appuie essentiellement sur la commande en tertiaire public et en logement social, et elles sont peu enclines à prendre le risque d’innover sur le logement privé. »

Leur rôle d’ensemblier est donc écarté lorsqu’il s’agit de faire de la rénovation énergétique. Alors qu’il pourrait être utile – ne serait-ce que pour optimiser les coûts.

Bureaux d’études thermiques / énergétiques

« La séparation entre architectes et ingénieurs du bâtiment est une spécificité française qui n’a sans doute pas facilité l’appropriation de la rénovation énergétique par les premiers. » En outre, les architectes perdent du terrain, en raison de « l’importance prise par les réglementations thermiques dans l’acte de construire (qui) a permis aux ingénieurs de prendre un certain ascendant. »

Si les bureaux d’études sont peu présents dans le logement individuel, certains font une percée dans les copropriétés, alliant études et conduite de travaux. « Cela a conduit à l’émergence de cabinets d’ingénierie spécialisés dans la copropriété (ex. : Réanova, Reezome, Sénova, etc.). Ils proposent une approche globale par l’intégration de compétences architecturales, le développement d’une ingénierie financière, et une conduite de projet adaptée à la copropriété seule à même de parvenir au vote de travaux. »

Artisans / Entreprises

Organisés en corps de métiers, bien implantés dans le logement individuel, les artisans ou petites entreprises raisonnent rarement au-delà de leur compétence propre (« La mise en place du label RGE qui visait initialement à instiller cette approche globale ne semble pas avoir convaincu les artisans de changer leur posture (Que Choisir, 2016) »). Qui plus est, leurs intérêts sont parfois contradictoires (chauffagiste versus plaquiste). La qualité n’est pas toujours au rendez-vous et le discours pro rénovation énergétique des fédérations professionnelles peine à se faire entendre dans un secteur très atomisé.

Distribution

Gaëtan Brisepierresouligne la segmentation entre grossistes et détaillants. S’adressant aux artisans, les premiers sont davantage orientés vers les matériaux (Saint Gobain, qui possède plusieurs enseignes, écoule ainsi ses produits) que vers d’autres dispositifs (chauffage, pilotage…). Le grand public lui sera invité à parcourir différents rayons (où les vendeurs sont intéressés à leur CA, pas à celui du voisin), la rénovation énergétique n’ayant pas, là encore, de visibilité globale.

Fournisseurs

Confrontés à leur rôle d’« obligés », les fournisseurs sont devenus des acteurs importants de la rénovation énergétique. Mais parfois dans un rôle de prescription. « Dans la rénovation, le but premier des fournisseurs est moins la réduction des consommations des logements que l’orientation des choix en matière de système énergétique, qui du côté du gaz, qui du côté de l’électricité (…). Pour les électriciens, les importants investissements dans les smart grids révèlent une priorité donnée à une meilleure gestion des consommations polluantes en période de pointe, compatible avec l’objectif politique de neutralité carbone. De façon analogue, les gaziers développent désormais un discours autour du « gaz vert » (méthanisation, etc.) alimentant le développement d’une économie circulaire. Au final, le problème de la rénovation énergétique serait traité par l’optimisation des réseaux. »

Banques

En dépit du discours officiels, les prêts spécifiques à la rénovation énergétique restent peu nombreux. Dans la note, Gaëtan Brisepierre « constate un phénomène de sous-distribution (des) prêts aidés. En copropriété, le nombre de prêts collectifs distribués reste infime car très peu de banques acceptent de le distribuer, et les syndics font de la résistance en refusant de se charger du recouvrement. En maison individuelle, la distribution annuelle de prêts oscille entre 20 et 30 000 bien loin des objectifs de massification de la rénovation énergétique. »

D’où vient cette réticence des banques ?

D’abord, le produit est peu rentable : « le dispositif de l’Éco-PTZ prévoit de faire jouer au banquier un rôle de vérification des pièces prouvant l’éligibilité des travaux (attestation RGE, devis conformes, etc.), qui sont ensuite susceptibles de faire l’objet d’un contrôle par les services de l’État. » Il faut donc former les conseillers bancaires, ce qui a un coût et « va à contre-courant du mouvement de réduction du nombre d’agences en cours dans les banques de détail. » (On notera à ce titre que BNP Paribas a récemment annoncé que les services des conseillers clientèle seront désormais payants).

Ensuite, dans un contexte de taux bas, le taux zéro de l’Éco-PTZest moins attrayant qu’il le devrait. Enfin, la rénovation est à un sujet hybride, mi-chemin du crédit à la consommation et du crédit immobilier, deux métiers traditionnels de la banque.

Surtout, « les banques ne semblent pas enclines à prendre en compte une des spécificités de la rénovation énergétique, à savoir qu’elle génère une baisse des charges pour les ménages. Ces économies attendues ne rentrent pas dans le calcul de solvabilité des ménages, la rénovation énergétique est ainsi considérée comme une dépense et non comme un investissement. Cela limite l’accès au crédit pour les ménages qui sont contraints par leur taux d’endettement, en particulier au moment crucial de l’acquisition d’une résidence principale. Cela s’explique notamment par l’absence de définition unifiée de la rénovation énergétique performante, et l’incertitude liée aux effets rebond sur la consommation. Un changement d’approche des banques à l’égard de la rénovation énergétique des logements privés nécessiterait à la fois l’autorisation des autorités de régulation et des modifications profondes des systèmes d’information. »

Le sociologue note cependant « l’émergence d’acteurs spécialisés issus du monde bancaire comme Domofinance ; ou du monde de la rénovation énergétique, comme Île-de-France Énergies qui propose du tiers-financement et a désormais la faculté de distribuer directement des Éco-PTZ. » Certaines banques mutualistes semblent plus volontaristes, jouissant d’une certaine autonomie dans leur territoire

Néanmoins, « au-delà de l’orientation des clients, la délégation du rôle d’instruction technique des dossiers d’Éco-PTZ aux structures publiques, accélérerait sans doute la distribution de ces prêts aidés. »

Syndics de copropriété

Outre leurs compétences, essentiellement juridiques et comptables, les syndics ont un modèle économique qui « n’est pas adapté » à la rénovation énergétique. « D’une part, l’important travail de préparation en amont du vote des travaux n’est rémunéré que si les travaux obtiennent un vote positif ; dans le cas contraire, ils auront travaillé à perte. D’autre part, ces projets ne relevant pas d’une obligation et divisant les copropriétaires, ils prennent le risque de perdre leur contrat de gestion s’ils les soutiennent trop ostensiblement. » Le travail d’accompagnement et de contrôle des projets est également très lourd. Il apparaît cependant que cette compétence nouvelle peut être mise à profit par certains syndics pour gagner des clients, au détriment d’autres, absents du sujet. Il est à observer que la rénovation, dans les petites copropriétés, se joue davantage au niveau des appartements que de la copropriété elle-même.

Agents immobiliers / notaires

Ces acteurs sont mentionnés pour mémoire, car ils ont davantage un rôle de conseillers patrimoniaux que de prescripteurs.

Acteurs publics

Enfin, Gaëtan Brisepierre fait état d’une répartition des rôles et des compétences un peu trop partagée pour être vraiment efficace : ANAH et ADEME, Régions et autres collectivités, sans oublier l’Etat « où la prise de décision politique en matière de rénovation énergétique est aussi à cheval entre plusieurs ministères : celui du Logement bien sûr, mais aussi celui des Finances en ce qui concerne les aides, et même celui de la Justice pour les règles qui concernent les copropriétés. » Il oublie (symboliquement) celui de l’Energie.

La lecture de cette analyse n’est pas très réjouissante, d’autant plus que l’on constate, année après année, que les objectifs nationaux de rénovation énergétique ne sont jamais tenus. L’approche globale, le financement complet, la coordination… restent encore des vœux pieux. Sans doute d’ailleurs ne faut-il pas chercher le coordinateur mais des solutions de coordination, à partir d’un montage financier type, qui servirait de clef de voûte à la massification attendue et nécessaire de la rénovation énergétique.

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Crédit photo : Chaumont Tony / Flickr – Structure combles après transformation Loiret 45