L’ARENH margote (épisode 2)

7 Fév, 2022

ARENH, concurrence, spoliation, rattrapage, nucléaire, gaz, EnR, EDF, concurrents d’EDF… Depuis plusieurs semaine, l’énergie est au cœur de l’actualité, ce qui entraîne l’apparition de multiples « experts » de plateau (TV ou réseaux sociaux) qui débattent d’un sujet qu’ils maîtrisent visiblement mal. Essayons de démêler une intrigue touffue.

Episode 2 : quel impact des prix de gros pour les consommateurs ?

Quelques rappels s’imposent :

  • La facture du consommateur dépend de sa consommation et de son tarif ;
  • Le tarif réglementé de vente (TRV) ne représente plus que 30% de la consommation française. Mais il concerne près de 65% des ménages (21,9 sur 33,7 millions de contrats) ;
  • Il existe de très nombreuses offres, à prix fixe, à prix variable ou indexées au TRV (EDF et Entreprises locales de distribution).

Composition de la facture

Pour comprendre l’impact des prix de gros sur[HG1]  les consommateurs, il est important de connaître la composition en « trois tiers » des tarifs de vente. Comme chez Pagnol, ces tiers sont plus ou moins gros.

  • Taxes et contributions : TVA, TICFE (CSPE), CTA, TCFE… ;
  • Acheminement : il s’agit du financement des réseaux de distribution et de transport de l’électricité, ou TURPE, fixés par la CRE ;
  • Energie et coûts commerciaux : coût de l’énergie elle-même (part ARENH et part marché), de la capacité, de commercialisation, dispositif CEE et… marge du fournisseur.

Note importante : L’illustration suivante détaille la composition du TRV mais c’est une bonne approximation valable pour la plupart des tarifs pour les petits consommateurs[1] puisqu’elle est censée refléter les coûts d’un fournisseur autre qu’EDF.

Source : CRE

Pour le mécanisme de capacité, cf épisode x

Les prix de marché vont impacter directement les coûts d’approvisionnement en énergie qui représentent 25% sur le graphique mais potentiellement beaucoup plus quand les prix augmentent.

À table avec Marcel Pagnol | L'EPICUVIN - Montpellier Languedoc

– CÉSAR
Tu mets d’abord un tiers de fourniture. Fais attention : un tout petit tiers. Bon. Maintenant, un tiers de réseaux. Un peu plus gros. Bon. Ensuite, un BON tiers de taxes. Regarde la facture. Regarde comme c’est joli. Et à la fin, un GRAND tiers d’organisation à la française. Voilà.

– MARIUS
Et ça fait quatre tiers.

CÉSAR
Exactement. J’espère que cette fois, tu as compris.

La récente envolée des prix de gros et son impact sur la facture des consommateurs

Le 19 janvier, la CRE a publié une délibération qui précise que sans les mesures gouvernementales (cf. infra) les TRV augmenteraient au 1er février de :

  • 44,5 % pour les particuliers ;
  • 44,7 % pour les petits professionnels.

Cette évolution est due à deux phénomènes concomitants (dont l’un était évitable) qui se renforcent mutuellement :

  • Explosion des prix du marché de gros. Les prix se sont envolés au dernier trimestre 2021, avec un pic à 400 €/MWh en décembre pour le produit 2023 contre un précédent record à… 93 €/MWh ;
  • Atteinte du plafond de l’Arenh (voici le phénomène évitable).

Nous évoquerons l’ARENH dans l’épisode suivant. D’ici là, il importe de comprendre en quoi son plafonnement à 100 TWh impacte lourdement les prix du marché de détail… et pourquoi on en parle autant !

Là encore, la réponse se cache dans les textes réglementaires et les délibérations de la CRE.

Chaque année, la CRE calcule en effet l’évolution du TRV au 1er février en prenant en compte l’évolution de différents paramètres.

Nous reproduisons ici le tableau qui détaille l’évolution de la part « énergie et capacité » du tarif.

Présentée à la première ligne, l’augmentation des prix de marché n’a qu’un impact « modeste » : en effet, la CRE utilise les prix de marché des deux années précédentes pour calculer ce paramètre. L’explosion des prix n’affecte que le dernier trimestre et est donc « moyennée ».

 En revanche, la ligne « complément énergie » de la rubrique Arenh explose. C’est logique puisque les fournisseurs ne savent que fin novembre ou début décembre de quel volume d’Arenh ils disposeront. Ils doivent donc acheter le complément durant le seul mois de décembre.

Pour l’année 2022, la CRE a communiqué le 1er décembre 2021. La demande d’Arenh ayant atteint 160 TWh (pour 100 disponibles), chaque fournisseur n’aura que 62% de sa demande. Le complément Arenh est donc calculé lors du mois le plus cher de l’année. Cela avait déjà occasionné une hausse en 2021 mais bien moindre…

Les mesures de gestion de crise : le bouclier tarifaire

Revalorisation de 100 € du chèque énergie

D’une valeur de 48 à 277 € selon les revenus, il doit aider les ménages modestes à payer leurs factures ou à acheter des équipements plus performants. Son coût atteint désormais, 1,4 milliard d’euros (Sénat, rapport PLF 2022).

« Pour la campagne 2021, environ 5,8 millions de ménages ont bénéficié du dispositif pour un coût d’environ 853 millions d’euros. En raison des conséquences de la hausse des prix du gaz sur les factures des ménages, le Gouvernement a décidé d’allouer, au mois de décembre 2021, un complément de 100 euros à tous les bénéficiaires du chèque énergie au titre de la campagne 2021. Afin de financer cette mesure, le Gouvernement a prévu d’abonder de 600 millions d’euros les crédits du programme 174 dans le cadre du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2021 actuellement en cours d’examen au Parlement. Aussi, en 2021, le coût du chèque énergie dépassera les 1,4 milliard d’euros. »

Dimension fiscale (loi de finances)

Réduction de la CSPE (TICFE) : réduction possible de 21,5 €/MWh pour tous les consommateurs. Cela représente un manque à gagner de 8 milliards d’euros pour le budget de l’Etat.

Plafond à 4%

La CRE calcule l’évolution théorique du TRV (cf. supra) mais le gouvernement limite la hausse à 4%[2]. L’ampleur de la différence reste incertaine mais nécessitera un rattrapage du manque à gagner en 2023 (au moins)pour les TRV (EDF et ELD)et des compensations pour les concurrents qui plafonneront également leurs prix pour éviter une distorsion de concurrence.  Pour schématiser : l’impact de la crise des prix est « lissé » (échelonné) dans le temps.

Augmentation du plafond de l’Arenh à 120 TWh (annoncée le 13 janvier)

EDF devra céder 20 TWh de plus à ses concurrents à un prix de 46,2 € (contre 42 pour les 100 premiers), pour la période d’avril à décembre 2022. 

Très tardive, cette annonce intervient alors que la plupart des achats de couverture ont déjà été faits. L’impact ne se fera réellement sentir que sur l’ampleur du rattrapage à effectuer en 2023 et des compensations puisque la majorité des tarifs ont été plafonnés. Elle est en revanche un soulagement immédiat pour les grands consommateurs exclus des dispositifs de plafonnement et peu concernés par la TICFE pour certains.

Coût pour EDF :

L’entreprise a annoncé un impact  de 7 à 8 milliards d’euros sur son Ebitda[3]  et ouvertement critiqué l’allocation de  20 TWh supplémentaires d’Arenh.

Cette évaluation est largement critiquable (et critiquée) puisqu’elle mélange différentes notions : perte d’opportunité de vendre ces 20 TWh plus cher, manque à gagner sur les TRV (rattrapé en 2023) qui relève plus du décalage de recette que de la spoliation… EDF a aussi admis  qu’alors même que les négociations avec l’Etat étaient en cours, l’entreprise a vendu ces volumes… en décembre quand les prix étaient au plus haut.

EDF a aussi annoncé le même jour une « perte » de production de 30 TWh pour 2022, précisant que  « L’impact sur les perspectives financières d’EDF est en cours d’analyse ».

Le chiffre d’affaires du groupe EDF est relativement stable autour de 70 milliards d’euros (deuxième électricien mondial).

La répartition des activités varie mais le socle reste français avec environ 60% du chiffre d’affaires alors même que la part de marché d’EDF baisse régulièrement pour les ventes au détail.

En matière de rentabilité, il est intéressant de noter que les activités françaises montent à 70% quand on regarde l’Ebitda (16 milliards environ), dont 46% pour la seule activité production-commercialisation.

La fragilité économique du groupe est peut-être à rechercher ailleurs que dans la commercialisation en France.


Lire le premier épisode (Comprendre les marchés de gros et de détail) et l’épisode 3 (l’ARENH du bal).

A lire aussi : Prix de l’énergie, marchés de gros et bouclier arverne

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[1] Pour les grands consommateurs et industriels, la structure des coûts peut être très différente.

[2] La loi de finances n’évoque que les clients résidentiels, tandis que Bercy annonce étendre aux petits professionnels.

[3] L’Ebitda d’EDF est à un niveau de 15-16 milliards d’euros ces dernières années.