Investissements dans les réseaux de distribution d’électricité : la concertation s’impose

28 Sep, 2020

Le gouvernement a mis en consultation un projet d’ordonnance visant à transposer la directive européenne du 5 juin 2019, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE.

Dans cette ordonnance, plusieurs modifications sont de portée modeste, apportant néanmoins des précisions bienvenues. Au regard des spécificités du système électrique français, certains éléments du texte présenté posent question. Nous nous concentrons ici sur ceux relatifs aux investissements dans les réseaux de distribution.

Extrait du projet d’ordonnance :

« Chapitre II

Gestionnaire de réseau de distribution d’électricité

III. – Il est inséré un nouvel article L. 322-11 au chapitre II du titre II du livre III du code de l’énergie, ainsi rédigé :

« Le gestionnaire de réseau de distribution publie au moins tous les deux ans et soumet à l’autorité de régulation un plan de développement de réseau transparent. Le plan de développement du réseau offre de la transparence quant aux services de flexibilité à moyen et long termes qui sont nécessaires, et énonce les investissements programmés pour les cinq à dix prochaines années, l’accent étant mis en particulier sur les principales infrastructures de distribution nécessaires pour raccorder les nouvelles capacités de production et les nouvelles charges, y compris les points de recharge des véhicules électriques. Ce plan de développement du réseau inclut également le recours à la participation active de la demande, à l’efficacité énergétique, à des installations de stockage d’énergie ou à d’autres ressources auxquelles le gestionnaire de réseau de distribution doit recourir comme alternatives à l’expansion du réseau. Les modalités d’application du présent article sont prévues par voie réglementaire.

« Le gestionnaire de réseau de distribution consulte tous les utilisateurs du réseau concernés ainsi que les gestionnaires de réseau de transport concernés au sujet du plan de développement du réseau. Le gestionnaire de réseau de distribution publie les résultats du processus de consultation ainsi que le plan de développement du réseau et soumet les résultats de la consultation et le plan de développement du réseau à l’autorité de régulation. L’autorité de régulation peut demander que le plan soit modifié.

« L’obligation de réaliser un plan de développement de réseau ne s’applique pas aux entreprises d’électricité intégrées desservant moins de 100 000 clients connectés. Elle s’applique dans les zones non interconnectées au territoire métropolitain continental si la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141-5 le prévoit. »

L’analyse de GP conseil

Dans cadre de la transition énergétique, les nouveaux usages comme le raccordement des énergies renouvelables renforcent l’importance des réseaux de distribution dans la gestion globale du système électrique. Incontestablement, l’obligation d’une programmation explicite et transparente du développement des réseaux de distribution à 5 et 10 ans représente une avancée importante. Cette demande de transparence et de visibilité était d’ailleurs -quoique partiellement – au cœur des dispositions liées aux conférences départementales et au Comité du système de la distribution publique d’électricité (CSDPE, institué par l’article L. 111-56-1 du Code de l’énergie).

La mention explicite des différents éléments à prendre en compte est également à souligner. Elle pourrait s’accompagner d’une définition (ou a minima reposer sur un vocabulaire commun) des « flexibilités » dans le Code de l’énergie.

Cependant, comme le texte du projet d’ordonnance est un simple extrait de la directive, il ne prend pas en considération l’organisation du système concessif français.

  • Les autorités concédantes ne sont pas de simples « utilisateurs du réseau » : leur implication mériterait d’être prévue dans la partie législative du code et pas seulement par voie réglementaire ;
  • L’articulation avec les dispositifs existant n’est pas précisée ;
  • Les investissements des autorités concédantes en zones rurales doivent être explicitement pris en compte;
  • L’échelle territoriale à prendre en compte dans la programmation est cruciale. Aussi la spécificité d’un GRD d’envergure nationale devrait-elle être prise en considération afin que le plan de développement soit réellement transparent et pertinent.
  • L’absence totale de plan de développement pour les GRD desservant moins de 100.000 clients n’est pas idéale. Des modalités simplifiées seraient sans doute plus adaptées.

« Les autorités concédantes ne sont pas de simples « utilisateurs du réseau » »

La transposition de la directive ouvre donc plusieurs possibilités d’améliorations qui permettraient au texte de mieux s’inscrire dans les principes français d’organisation de la distribution d’électricité, notamment en renforçant la dimension territoriale de développement du réseau.

  • Utiliser les commissions consultatives paritaires de l’énergie (CCPE, article L2224-37-1 du CGCT) qui regroupent l’ensemble des EPCI sous l’égide des AODE pour évaluer précisément les besoins et déterminer leur ordre de priorité en fonction des projets du territoire (PCAET, SRADDET…);
  • Intégrer ces paramètres (besoins et priorités identifiés en concertation) dans les schémas directeurs et programmes pluriannuels d’investissement prévus par le nouveau cahier des charges des concessions (s’il est entré en vigueur). Ce sera l’occasion de préciser les actions à entreprendre (renforcement, MDE, flexibilités…), les volumes d’investissement par types, tout en intégrant ceux portés par les AODE (zones rurales) ;
  • Renforcer le caractère opérationnel des conférences départementales (Art. L 2224-31 du CGCT) afin de définir des programmes départementaux transparents et détaillés, couvrant l’intégralité des actions du ou des GRD et des AODE (y compris les AODE, agglomérations et métropoles n’ayant pas rejoint le syndicat départemental) ;
  • A partir des résultats des conférences départementales, produire un plan de développement agrégé à l’échelle régionale, présentant les enjeux par types d’actions et d’investissements, intégrant l’ensemble des GRD. Ce travail d’agrégation pourrait être effectué en concertation par Enedis, ELE et l’Uneleg par exemple.
  • Soumettre pour avis ce plan de développement national consolidé au comité du système de la distribution publique d’électricité, avant sa transmission à la CRE.

Construire les investissements à partir des besoins des territoires

Au regard de ces différentes suggestions se dessine l’impératif d’une programmation des investissements qui prenne en considération les besoins des territoires, dans une approche concertée. La transition énergétique est en effet un renversement de l’approche centralisatrice qui a longtemps prévalu en France, depuis la nationalisation de 1946. L’essor des sources de production renouvelable et décentralisées combiné au rôle croissant des collectivités locales, autorité concédante, renverse progressivement ce modèle. Aussi importe-t-il que les investissements s’établissent à partir des besoins constatés par les collectivités (et les « utilisateurs du réseau ») en utilisant au mieux les outils de pilotage (contrats de concession) et de concertation (CCPE, CSDPE) existants.

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Crédit photo : JPC24M Transformateur2 – Flickr