Un projet de réforme du diagnostic de performance énergétique (DPE) des logements semble entrer en contradiction avec deux objectifs de notre politique énergétique : la maîtrise de la pointe de consommation électrique, ainsi que les ambitions en termes de rénovation énergétique. Par ricochet, des ménages en situation de précarité énergétique pourraient également « disparaître » des catégories prioritaires des programmes d’accompagnement.
Le chauffage électrique, clef de voûte du confort thermique ?
Contenu carbone, énergie primaire, BBC, DPE… : plusieurs projets de réformes réglementaires sont en cours et convergent vers une nouvelle approche du confort thermique des bâtiments, au profit du chauffage électrique considéré comme le moyen le plus efficace de décarboner cet usage.
- Abaissement du facteur d’énergie primaire de l’électricité (reflétant la quantité d’énergie primaire pour produire un kWh d’électricité), de 2,58 à 2,3 ;
- Abaissement de la valeur du contenu carbone de l’électricité (reflétant la quantité de CO2 émise pour produire un kWh d’électricité) de 180 à 79g CO2/KWh ;
- Passage du DPE, actuellement exprimé en énergie primaire, en énergie finale et modification des classes énergétiques associées.
Nous nous concentrerons sur la réforme du DPE.
Redéfinition des « passoires énergétiques »?
Récemment publié, un document de travail du CGDD (Le parc de logements par classe de consommation énergétique, septembre 2020) détaille les impacts potentiels de la réforme envisagée du DPE. Le calcul de la consommation en énergie finale se traduit par une nouvelle approche des « passoires énergétiques » (classes F et G).
En effet, 2,3 millions de logements chauffés à l’électricité sortiraient de cette catégorie tandis qu’un million de logements au fioul et 1,3 million de logements chauffés au gaz en feraient désormais partie.
Cette approche semble peu conforme à la réalité sociale de la précarité énergétique, très largement observée dans les logements chauffés à l’électricité (mode de chauffage le plus cher) et, au fioul.
Elle pose en outre différentes questions.
Droit européen: énergie finale ou primaire?
Questions juridiques d’abord, au regard du droit européen.
Le choix du calcul de l’énergie finale pourrait être considéré comme une infraction à la règlementation européenne, dont l’ensemble des textes vise les consommations en énergie primaire, notamment la Directive 2018/844 UE sur la performance énergétique des bâtiments.
Pour rappel, la directive de mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments établit la définition des certificats (notre DPE) en renvoyant expressément à la méthode définie dans son annexe (article 2) :
- Un «certificat de performance énergétique» est « un certificat reconnu par un État membre ou par une personne morale désignée par cet État, qui indique la performance énergétique d’un bâtiment ou d’une unité de bâtiment, calculée selon une méthode adoptée conformément à l’article 3 » ;
- Selon cet article 3, les États-membres appliquent une méthode de calcul de la performance énergétique des bâtiments conforme à un cadre général commun, établi à l’annexe 1, modifiée par la directive 2018/844 :
« Les annexes de la directive 2010/31/UE sont modifiées comme suit:
1) L’annexe I est modifiée comme suit:
a) le point 1 est remplacé par le texte suivant : «1. La performance énergétique d’un bâtiment est déterminée sur la base de la consommation calculée ou réelle d’énergie et correspond à la consommation énergétique courante pour le chauffage des locaux, le refroidissement des locaux, la production d’eau chaude sanitaire, la ventilation, l’éclairage intégré et d’autres systèmes techniques de bâtiment.
La performance énergétique d’un bâtiment est exprimée au moyen d’un indicateur numérique d’utilisation d’énergie primaire en kWh/(m2/an), pour les besoins tant de la certification de la performance énergétique que de la conformité aux exigences minimales en matière de performance énergétique. La méthode appliquée pour la détermination de la performance énergétique d’un bâtiment est transparente et ouverte à l’innovation »
La version initiale du texte de 2010 offrait plus de souplesse: « La performance énergétique d’un bâtiment est exprimée clairement et comporte un indicateur de performance énergétique et un indicateur numérique d’utilisation d’énergie primaire ». Néanmoins, le législateur a choisi d’imposer l’énergie primaire.
Probable impact sur la « pointe » électrique
D’autres questions sont soulevées, dont celle du « mix » énergétique des modes de chauffage.
Si la priorité donnée à la rénovation des logements chauffés au gaz et fioul est compréhensible, la réforme risque cependant d’entraîner une conversion massive vers l’électricité via des convecteurs, solution la moins chère à l’investissement. Est-ce souhaitable ? La réforme envisagée est de fait défavorable au chauffage au bois ou solaire, et même aux pompes à chaleur, pourtant bien plus performantes que les convecteurs.
Cela pourrait conduire à une augmentation de 20% du parc de logement chauffés à l’électricité et… accentuerait significativement la « thermo sensibilité » du système électrique, avec un effet majeur sur la pointe électrique à l’horizon 2030-2040. Or, la gestion de cette pointe est déjà un frein à la décarbonation du mix électrique, comme le montrent les alertes répétées de RTE, les débats autour de la fermeture des centrales charbon, des importations, du mécanisme de capacité…
La trajectoire de décarbonation du mix électrique de la PPE pourrait s’avérer hors d’atteinte. A cet égard, il serait utile que RTE puisse évaluer l’impact de la réforme envisagée sur l’équilibre du système électrique.
Quid de l’impact sur la précarité énergétique?
Un autre sujet s’impose enfin et, au regard de la crise économique actuelle et à venir, il pourrait devenir central : la précarité énergétique.
La réforme va distendre le lien entre DPE (étiquette énergie) et facture de chauffage. Ce lien apparaîtra d’autant plus flou qu’un logement chauffé à l’électricité sera mieux classé que son équivalent au gaz, mais avec une facture trois fois plus élevée.
Qui plus est, les ménages s’engageant dans une rénovation avec conversion au chauffage électrique pourraient être très surpris si leurs factures restent aussi élevées après les travaux, voire plus élevées si cette rénovation s’effectue par étapes (l’électricité est trois fois plus chère que le reste). A l’évidence, ce ne serait pas une bonne publicité pour la rénovation énergétique, rendant d’autant plus difficiles à atteindre les objectifs assignés au parc de logements.
Ultime paradoxe : avec cette réforme, une grande partie des ménages en situation de précarité énergétique vivant dans des logements chauffés à l’électricité seraient exclus des catégories prioritaires pour la rénovation.
Ainsi combinés, ces divers projets de réforme posent donc de nombreuses questions. Si la décarbonation du mix énergétique est une nécessité, il importe de mesurer les déséquilibres qu’une approche maladroite « tout électrique » pourrait entraîner, au détriment à la fois d’objectifs utilement définis, de la gestion de la pointe à la résorption de la précarité, en passant par la rénovation massive du parc de logements.
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