Dans un jugement rendu le 25 janvier 2024, le tribunal administratif de Rennes a interdit à la commune de Plourin (Finistère) d’entrer au capital d’une société de production d’énergie renouvelable. Le motif ? Cette commune avait transféré sa compétence à un EPCI. Vous avez dit accélération ?
Reprenons les faits.
A l’origine, la commune adopte une délibération pour pouvoir entrer au « capital de la société Tredan Heol de Plourin, dédiée à la réalisation, la maintenance et l’exploitation de centrales photovoltaïques au sol, sur toiture ou ombrière. » C’est banal : depuis une dizaine d’années, beaucoup de collectivités ont pris des décisions similaires. C’était d’ailleurs un des objectifs de la Loi TECV de 2015.
Le Préfet du Finistère ne l’entend pas ainsi. Il retoque la délibération.
D’une part, argumente-t-il, Plourin a transféré au Pays d’Iroise sa compétence concernant la protection et la mise en valeur de l’environnement (article L. 5211-17 du code général des collectivités territoriales). D’autre part, elle a également transféré à cette communauté de communes sa « compétence pour aménager, faire aménager et faire exploiter toute installation de production d’énergies renouvelables. » En conséquence, elle ne saurait « participer à l’actionnariat d’une société qu’à la condition de détenir la compétence liée à son objet social. »
En défense, la commune se réfère évidemment à l’article 109 de la loi du 17 août 2015, désormais codifié enL. 2253-1 du CGCT : « Par dérogation au premier alinéa, les communes et leurs groupements peuvent, par délibération de leurs organes délibérants, participer au capital d’une société anonyme ou d’une société par actions simplifiée dont l’objet social est la production d’énergies renouvelable. » Par dérogation : il n’est nul besoin d’avoir une compétence spécifique pour investir dans une société de projet EnR. C’est tout l’esprit de cet article issu de la loi TECV…
Le transfert de compétences EnR est-il exclusif?
Par son avocat, Plourin fait également valoir que l’article L. 2224-32 du CGCT invite à de tels investissements, en les limitant géographiquement, mais sans les subordonner à l’exercice d’une compétence. Observons que, si la loi du 22 août 2021 a retouché cet article, c’est pour l’élargir à d’autres possibilités (hydrogène…). La volonté du législateur est à la fois claire et constante.
La récente loi APER va plus loin encore. Son article 93 oblige les porteurs de projet à informer la commune ET l’EPCI pour leur permettre de prendre des parts, sans aucune mention de compétence. « Les associés ou les actionnaires souhaitant constituer l’une des sociétés mentionnées aux I ou II du présent article en informent le maire de la commune d’implantation du ou des projets et le président de l’établissement public de coopération intercommunale d’implantation du ou des projets, au plus tard deux mois avant la signature des statuts, afin de leur permettre de proposer une offre de participation au capital mentionnée aux mêmes I et II.»
En dépit de tous ces éléments concordants, le tribunal administratif de Rennes (jugement à télécharger ici) donné raison au Préfet, estimant que le transfert de compétences était exclusif, « volontaire et intégral ». Il a estimé que la délibération « est intervenue dans une matière dont la commune avait décidé de se dessaisir. »
Dans une note juridique, la FNCCR pointe d’autres éléments favorables à l’investissement des collectivités dans les SA et SAS d’EnR, tel le financement participatif (Article L. 294-1 du code de l’énergie), sans avoir à justifier de l’exercice d’une compétence dédiée. Mieux : lorsqu’une prise de participation exige l’exercice d’une compétence, la loi le précise expressément : « Tel est ainsi le cas des sociétés d’économie mixte (SEM) et des sociétés publiques locales (SPL), les articles L. 1521-1 et L. 1531-1 du CGCT prévoyant que les collectivités ne peuvent en être actionnaires que s’il existe un lien entre les compétences qu’elles exercent et l’objet de la SEM ou de la SPL. »
La production d’énergie renouvelable relève de l’intérêt général
Par ailleurs, elle observe que « les actions des collectivités en faveur du développement des EnR sur leur territoire relèvent (aussi) de l’intérêt public local (article L. 1111-2 du CGCT ou article L. 100-2 du code de l’énergie). « Une commune est donc bien habilitée à intervenir en matière de production EnR compte tenu de l’intérêt général que présente cette activité. » Reprenons la décision du TA et posons ainsi la question : une commune peut-elle « se dessaisir » de l’intérêt général ?
A plusieurs égards, la décision préfectorale comme le jugement du 25 janvier 2024 posent question.
- L’esprit de la loi (et sa codification) est constant : comment cela a-t-il ou être « oublié » ?;
- La compétence exclusive en matière de production d’énergie renouvelable est une fiction : nombre de SEM, portées par des syndicats intercommunaux ou des EPCI créent des sociétés de projets auxquelles participent les communes qui leur avaient transféré la compétence… ;
- Paradoxe ou schizophrénie : au moment où le préfet du Finistère demande à la commune de Plourin de retirer sa délibération, il est également en charge de la mobiliser ainsi que toutes celles du Finistère pour définir des zones d’accélération des énergies renouvelables ! ;
- De telles décisions, aberrantes au regard de l’urgence climatique, freinent les projets et les investissements, au détriment de l’intérêt général.
La production d’énergie renouvelable n’est pas un club VIP ; on peut s’en emparer sans accréditation particulière. Pour l’anecdote, la commune voulait investir… 48.000 euros. On le voit, il y avait grand péril.
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