La fin de l’automaticité du chèque énergie serait un rude coup pour les ménages précaires

C’est un changement qui semble difficilement justifiable. L’article 60 du projet de loi de finances 2025 mettrait fin à l’envoi automatique du chèque énergie. Au regard de la longue et tortueuse histoire de la tarification sociale, ce retour en arrière est peu compréhensible.

Un rappel s’impose. Créée par la loi de février 2000, la tarification « produit de première nécessité » (TPN), suivie du tarif spécial de solidarité gaz (TSS), va mettre beaucoup de temps à se généraliser – c’est un euphémisme. Y accéder suppose alors d’être éligible à la CMU-C et être titulaire de l’abonnement, ce qui n’est pas toujours le cas. Puis, il faut déposer une demande sur une plateforme dédiée : XGS, filiale de Frank Xerox qui connaît quelques ratés – là encore un euphémisme.

Les « ratés » des premiers tarifs sociaux

Après quelques années, ces tarifs sociaux ne touchent qu’un bénéficiaire sur deux, voire un sur trois pour le gaz, observe l’ADEME : « 950.000 bénéficiaires pour l’électricité et 325.000 pour le gaz. 2 millions éligibles pour l’électricité, 1 million pour le gaz. »

On appréciera la complexité du dispositif, telle que schématisée par la CRE dans une délibération de 2008.

Source : CRE (2008)

Conscient des difficultés, le gouvernement opte pour l’attribution automatique. Le progrès est notable mais la conjugaison des critères d’éligibilité ne lève pas toutes les contraintes et réduit toujours le nombre de bénéficiaires. Mais, enfin, le système semble progressivement devenir efficace et il y a moins de ménages « oubliés ».

Création du « chèque énergie »

Sans résoudre tous les problèmes, la création du « chèque énergie » en 2015 pouvait apparaître comme un progrès. A cette nuance près qu’il vise toutes les dépenses énergétiques, loin de toute réflexion climatique. Pourtant, là encore, la généralisation se fait attendre. On compte un important taux de non-recours (traduisez : des chèques non utilisés…). En 2019, une étude l’évalue à un chèque sur quatre !

« 25 % des ménages ayant reçu ce chèque ne l’avaient pas utilisé. « Non-réception du chèque (par exemple liée à un changement d’adresse), incompréhension sur la manière de l’utiliser, perte ou refus de l’utiliser (du côté des ménages et des fournisseurs d’énergie) » sont les explications avancées. »

Précarité énergétique : pour contrer le non-recours aux aides, une amélioration de l’information nécessaire (Le Monde / AGP, 2 octobre 2021)

Depuis, selon le Médiateur national de l’énergie, le taux de non-recours a baissé. « En 2023, 5,6 millions de ménages ont reçu un chèque énergie annuel. 4,8 millions de ménages (soit 82,6% des bénéficiaires du chèque) ont utilisé leur chèque énergie (hors campagnes exceptionnelles). »

Lors d’une table-ronde du Sipperec consacrée à la précarité que GP conseil a récemment animée, des travailleuses sociales ont rappelé l’extrême fragilité des ménages précaires. Chômage, handicap, petites retraites… : la précarité est durable et les aides allouées ne permettent pas de payer la totalité des factures. Celles-ci sont perçues comme des couperets et générant stress et angoisse. Même en appliquant des « éco-gestes », en se chauffant très peu, voire pas du tout, les ménages ne parviennent pas à réduire suffisamment leur consommation. Le chèque énergie est largement insuffisant pour « sortir » de la précarité.

Souvenons-nous de l’incroyable prodigalité du « bouclier énergétique » généralisé à tous les ménages (un chèque généralisé de plusieurs milliards, visant l’électricité, le gaz, le carburant). Le niveau de ce bouclier reste à préciser mais il est faramineux. A côté, le coût du chèque énergie pour la nation apparaît dérisoire.

Un nouveau et contraignant changement de règles

L’article 60 du PLF 2025 a un goût amer de déjà-vu. En effet, en 2015, au moment où la TPN devenait efficace, le gouvernement avait décidé de changer le dispositif en créant le chèque énergie. Et voici qu’au moment où celui-ci commence à être généralisé – et utilisé-, les règles du jeu changent à nouveau… Cet article 60 pourrait s’avérer redoutable.

L’administration justifie ce changement par la suppression de la taxe d’habitation qui rendrait difficile l’identification des bénéficiaires.

L’administration justifie ce changement par la suppression de la taxe d’habitation qui rendrait difficile l’identification des bénéficiaires.

« Afin de croiser ces deux informations (revenus et logement), l’éligibilité au chèque énergie s’appuiera sur le
croisement du numéro de point de livraison d’électricité du logement – qui est plus fiable et aisé à traiter que
l’adresse postale – et sur les paramètres fiscaux (revenu fiscal de référence et rattachés) du foyer fiscal, dont un
des déclarants est titulaire du contrat de fourniture d’électricité. Un logement ne disposant que d’un point de
livraison, ces modalités visent à garantir qu’un seul chèque soit émis par logement. »

Projet de loi de finances 2025, article 60, exposé des motifs.

Les associations de consommateurs s’émeuvent logiquement de ce changement.

« D’après les chiffres que nous ont été communiqués par l’administration, seuls 3% des nouveaux bénéficiaires potentiels du chèque énergie en 2024 l’ont obtenu à ce jour. »

« La campagne « chèque énergie » 2025 s’annonce encore plus difficile : il faudrait potentiellement, pour pouvoir prétendre à son chèque, s’inscrire systématiquement sur une nouvelle plateforme numérique, pour y communiquer son numéro de PDL (point de livraison électrique), le numéro fiscal du titulaire du contrat de fourniture d’énergie, et justifier son lieu de domicile. »


Chèque énergie – Un dispositif désormais frontalement attaqué par le Gouvernement (Communiqué, 16 octobre 2024)

Il reste à espérer que le débat parlementaire reviendra sur cette disposition. Les ménages précaires, aussi, ont droit à la stabilité et à la visibilité.

Ce n’est donc pas la première fois qu’un gouvernement tente des économies sur le dos des pauvres. Pourtant, le législateur serait fondé à réfléchir à moyen terme. Par exemple, simplifier les dispositifs de rénovation des passoires thermiques, pour véritablement accélérer. Aujourd’hui, pour ne pas prendre le risque d’adresser deux chèques à la même famille, il accepte celui d’en priver plusieurs millions.

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